Transformation et agrandissement d’une maison, Collonge-Bellerive
Extrait d’un article publié par la revue Espace contemporain.
Historiquement hybride mais harmonieusement cohérente dans son concept d’habitation, cette propriété genevoise ne s’articule pas selon le rythme binaire classique «espace jour» et «espace nuit», mais sur le mode «partie originelle» et «extension». Levée de rideau.
«Terrain avec bâtisse agricole à démolir.» Tout a commencé à la lecture de cette annonce – ou presque –, car ils étaient locataires d’une villa alors mise en vente et qui s’annonçait de toute façon trop petite pour eux à court terme, la famille étant sur le point de s’agrandir. Il leur fallait donc trouver autre chose, plus spacieux. Pour la petite histoire, c’est la sœur de Madame qui a acheté l’objet où ils vivaient, tandis qu’ils se sont mis à chercher, dans tout le canton, pendant près de… quatre ans! Jusqu’à ces quelques mots proposant une parcelle de 1500 m2 avec ferme de 1900 à raser… à cinq cents mètres à vol d’oiseau de leur ancienne maison, dans ce même village genevois de la rive gauche.
Madame se souvient: «Lors de la première visite, j’ai tout de suite pensé qu’on pouvait garder la construction existante». Elle est la seule des acheteurs potentiels à le dire – et à le souhaiter –, y voyant «l’occasion rêvée de faire quelque chose de personnel». Aujourd’hui, le résultat lui donne raison; mais à quel prix! Entre l’achat, en 2003, et l’installation du couple, de ses trois filles et de la «nounou» à fin 2006, «trois ans de projet, de plans et de construction» se sont écoulés. «Nous sommes passés par tous les stades. Plus nous allions de l’avant, plus nous nous rendions compte de la difficulté à garder l’ancien bâtiment, qui s’est révélé avoir été construit en plusieurs fois. Mais l’envie de préserver la vieille maison a été plus forte. Heureusement! C’est ce qui donne ce cachet à ce projet» se félicite aujourd’hui la maîtresse des lieux. Auteur, avec Bénédicte Montant, de cette audacieuse réalisation à laquelle ont participé cinq autres collaborateurs du bureau genevois 3BM3, l’architecte Carmelo Stendardo confirme, parlant, au passage, d’«un grand travail de transformation» et d’«un «projet de vie plus que d’architecture»: «La maison existante a été vidée pour être reconstituée avec de nouveaux volumes.»
Dialogue en complémentarité
A cette radicale transformation de la bâtisse originelle, dont il n’est resté que les volumes extérieurs et la poutraison, s’est ajoutée la construction d’une extension riche en lumière et en transition, les architectes ayant joué les contrastes avec brio: autant la première est haute, autant la seconde est basse, l’une, à toit pentu, habillée de crépi minéral, l’autre, à toit plat, nue de béton brut. Au final, deux maisons en une, sur quatre niveaux, pour une surface habitable de 390 mètres carrés; sans compter une salle de musique – entièrement vitrée et au plafond insonorisé – de vingt-deux mètres carrés, à l’extérieur, entre cuisine et jardin, prise en sandwich entre deux dalles de béton.
Les matériaux aussi dialoguent sur le ton de la complémentarité. Proposition des architectes («pour marquer la différence entre les parties ancienne et nouvelle») que les propriétaires ont dû apprivoiser, le béton et le verre tiennent la vedette de ces nouveaux espaces sur deux niveaux qui – outre la salle de musique –, sur 175 mètres carrés, accueillent la chambre des parents et la cuisine au rez-de-chaussée, la chambre d’amis, une bibliothèque salle de télévision ainsi que la buanderie et la cave au sous-sol.
Comme en puissant sertissage au chêne présent des deux côtés de l’habitation (escaliers intérieurs et sols, excepté celui de la cuisine, en béton ciré), «le choix du verre et du béton relevait d’une évidence pour les architectes» se rappelle notre interlocutrice, qui reconnaît: «Nous étions assez sceptiques quant à un ajout contemporain à la maison ancienne, car ça aurait pu être un verrue.» Loin de là, l’extension – pensée et réalisée comme appartenant au jardin, à l’extérieur – fait figure, à l’opposé, de grain de beauté. Surélevée pour s’accorder au niveau de la construction d’origine, elle se fait aussi l’interprète d’une variation chromatique répondant sobrement aux vert et gris foncés du bâtiment premier par la discrétion crayeuse de son béton et les transparences forcément diaphanes de ses innombrables vitrages.
Solidité et fluidité, ancrage et évanescence, les deux corps se répondent dans une harmonie que la principale intéressée vit au quotidien comme «très chaleureuse, accueillante; nous y sommes très heureux», relevant au passage une satisfaction partagée par son mari: «Les architectes ont fait un travail extrêmement minutieux.» De leur côté, ces derniers, auteurs de tous les dessins, jusque dans les moindres détails, toujours par la voix de Carmelo Stendardo, soulignent: «Le contexte de la maison n’est pas des plus simples, notamment en regard des vis-à-vis; d’où la création d’une succession de filtres.» Là encore, les réponses apportées jouent l’originalité des variations, les écrans pourvoyeurs d’intimité se déclinant aussi bien sous forme végétale (bambous et graminées) que minérale (jalousies en béton évoquant, au départ, des touches de piano, Madame étant musicienne).
La cuisine, «nombril de la maison»
Rythmée sur le mode inhabituel de la chronologie (partie d’époque, partie récente), cette maison familiale pourrait très bien se laisser commenter sur celui d’une distribution parents/enfants, ces derniers occupant les deux étages supérieurs des «vieux» murs – mais peut-on encore les appeler ainsi? –, leur rez-de-chaussée accueillant garage (en son temps la grange), bureau, W.-C. visiteurs, salle à manger et salon… sans télévision!. A noter, entre cette dernière double pièce et la cuisine, un passe-plats inédit puisque anciennement fenêtre; une des façades extérieures, couleur comprise, se retrouvant désormais partiellement à l’intérieur.
Avec son entrée en rampe douce depuis la cour en gravier, son apaisant jardin à composition picturale dessiné par les architectes paysagistes d’Oxalis (Carouge, Genève), ses ambiances lumineuses inventées par un éclairagiste (Zissis Nasioutzikis, Genève), son patio sur lequel donnent, en sous-sol, la chambre d’amis et la bibliothèque salle de télévision déjà mentionnées, l’ensemble paraît «facile», d’une évidence qui coule de source, comme tout ce qui est parfaitement maîtrisé. Cela dit, à bien comprendre Carmelo Stendardo, on devine les obstacles rencontrés: «C’est la complexité et la difficulté du projet qui lui ont donné son intérêt.»
Aujourd’hui, les aléas du chantier oubliés, dans la joyeuse et musicale vie d’un rez-de-chaussée aux nombreux plafonds sonorisés B&W (cuisine, bureau, chambre des parents, et extérieur couvert), au-delà de toute sophistication telle la cheminée à gaz s’allumant par télécommande (!), la cuisine, immense et lumineuse, se réapproprie son rôle traditionnel ancestral de cœur vibrant du foyer. Cela selon le souhait du père et de la mère qui, coutumiers des grandes tablées de dix personnes, voulaient qu’elle soit «le nombril de la maison». Ou quand la beauté de la modernité n’entrave en rien le bon sens et l’intelligence. Le plus admirable des projets.
Maître d'ouvrage | Privé |
Catégorie | Logement |
Date de construction | 2006 |
Crédits photos | Photographies - L. Fascini & 3BM3 |
Localisation | 1245 Collonge-Bellerive |
Géolocalisation |